Amitiés Littéraires

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Espoir dans le noir

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Prologue

 

Journal de bord de Basile 1er février 1814 à La Rothière

 

Je suis immobile depuis si longtemps que je me demande si je suis encore en vie. Mon corps est glacé, l’est-il par le froid qui règne ici depuis des jours ou est-ce la mort qui pénètre petit à petit mes os.

Je tente de me concentrer pour trouver le moyen de m’extraire de ce trou où je me noie doucement. J’essaie de toutes mes forces, rien n’y fait ! Je vais devoir me résigner. Si je ne suis pas encore mort, ça ne saurait tarder... Alors je me détends et je laisse mon esprit vagabonder dans les beaux rêves que je fais depuis quelques temps et qui me forcent à tenir bon, à résister au froid, à la solitude ou au manque de solitude, au doute qu’un jour peut-être je reviendrai, vous parlerai, vous sourirai, …

Je rêve de vous tout le temps, surtout lorsque j’ai peur, peur de mourir, peur d’être blessé, peur à cause de ces bruits incessants de tir d’obus. Au début, je sursautais à chaque coup de canon. Je mettais mes mains sur mes oreilles, me recroquevillant dans un coin comme un enfant. Et petit à petit, l’homme s’habitue à tout, même à ça. J’en ai froid dans le dos, un froid encore plus terrible que celui dans lequel je vis presque chaque jour depuis mon engagement.

Cette guerre finira-t-elle un jour ? Je crains de terminer comme beaucoup de mes compagnons d’armes entre quatre planches, dans le meilleur des cas ! Pour certains, il ne reste pas grand-chose à y mettre dans ces cercueils de fortune, enfin de fortune n’est pas vraiment le terme approprié. Où est la fortune ? Moi qui me suis engagé justement pour faire fortune et rentrer au pays en homme valeureux, riche d’une belle expérience et couvert de médailles… Aujourd’hui j’espère rentrer tout simplement. L’idée de déserter m’est venue à maintes reprises tellement l’angoisse permanente me tenaillait au corps. Je ne le ferai jamais pour Eugénie, je n’oserai plus me présenter devant son père et sans doute pas davantage devant elle, bien que je croie qu’elle serait capable de s’enfuir avec moi, malgré ma lâcheté. Pour aller où ? Le bout du monde, c’est certain ; rester plus près serait une erreur, son père pourrait engager des hommes pour retrouver sa fille, sa pauvre petite fille qu’un odieux personnage, moi en l’occurrence, aurait abusée. La mort serait évidemment bien moins pénible à ce qui pourrait m’arriver si...

Dans mon trou depuis ce matin je n’ai que des idées noires, j’ai envie de pleurer mais mes yeux restent secs, j’ai envie de crier mais aucun son de mon corps n’arrive à sortir, alors en désespoir de cause je me fais de plus en plus petit. Si j’avais été plus studieux durant les cours de catéchisme, j’aurais peut-être pu prier mais rien ne vient. La seule prière que je répète depuis mon engagement est une incantation à une puissance supérieure susceptible de me faire passer entre les balles et les obus afin de revoir ma douce Eugénie. C’est la raison pour laquelle depuis un temps que je n’arrive même pas à identifier je suis cloué au fond de mon trou espérant conjurer le sort.

Parfois, je pense à Gustave dont je n’ai plus de nouvelles. Durant quelques mois, nous étions dans la même unité, lui à cheval, moi à pied. Lors des campements, il nous arrivait de nous croiser ou d’avoir des nouvelles grâce à l’un de nos camarades. A la dernière offensive, nos garnisons ne sont séparées. Gustave qui faisait partie du 2ème corps de cavalerie, venait d’être rappelé au sein de la 6e division de cavalerie commandée par le général de brigade Antoine Maurin pour combattre sur la Marne. Depuis je n’ai aucune nouvelle. Je regrette aujourd’hui de ne pas avoir suivi ses conseils lorsqu’il s’était proposé, alors que je n'avais que douze ans, de m’apprendre à monter à cheval. C'était au-dessus de mes forces, à l’époque j’étais terrorisé à l’idée d’approcher un cheval, aujourd’hui rien a changé. Pourtant si j'avais été plus courageux, j’aurais fait partie du même régiment que mon ami et j’aurais pu tenir la promesse que j’ai faite à Eugénie, veiller sur son frère, son inconscient de frère, toujours prêt à en découdre avec celui qui le cherche. Dieu que j’ai peur, cette nouvelle peur me tenaille si fort que je crains le pire. Et si le pire était avéré, comment pourrais-je m’expliquer, oserais-je seulement apparaître devant ma bien-aimée.

Ce jour tout m’effraie et plus le temps avance plus je suis inquiet. Une fois encore j’aurais aimé prier celui qui, s’il existe, me viendrait en aide, et protégerait mon ami, me donnerait la volonté de me lever et ferait en sorte que notre chef, le grand Napoléon nous sauve enfin de cette boue, de ce noir, de cette peur, et nous permette de gagner cette guerre dont nous ne voyions pas la fin.

Le temps est long, dur et éprouvant. Heureusement que j’ai toutes les lettres de ma douce et tendre Eugénie que je relis sans cesse pour soutenir le moral de l’homme si faible que je suis devenu et qui est aujourd’hui au plus bas.

 

 



20/10/2020
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