Roman : Espoir dans le noir -- Prologue
Campagne de Belgique 1815
Je suis immobile depuis si longtemps que je me demande si je suis encore en vie. Mon corps est glacé, l’est-il par le froid qui règne ici depuis des jours ou est-ce la mort qui me pénètre petit à petit dans les os.
Je tente de me concentrer pour trouver le moyen de m’extraire de ce trou où je me noie doucement. J’essaie de toutes mes forces, rien n’y fait. Je vais devoir me résigner. Si je ne suis pas encore mort, ça ne saurait tarder. Alors je me détends et je laisse mon esprit vagabonder dans les beaux rêves que je fais depuis quelques temps et qui me forcent à tenir bon, à résister au froid, à la solitude ou au manque de solitude, au doute qu’un jour peut-être je reviendrai, je te parlerai, je te sourirai, …
Je rêve de toi tout le temps, surtout lorsque j’ai peur, peur de mourir, peur d’être blessé, peur à cause de ces bruits incessants de tir d’obus. Au début je sursautais à chaque coup de canon. Je mettais mes mains sur mes oreilles, me recroquevillant dans un coin comme un enfant. Et petit à petit, l’homme s’habitue à tout, même à ça. J’en ai froid dans le dos, un froid encore plus terrible que celui dans lequel je vis chaque jour depuis mon engagement.
Cette guerre finira-t-elle un jour ? Je crains de terminer comme beaucoup de mes compagnons d’armes entre quatre planches et dans le meilleur des cas. Pour certains il ne reste pas grand-chose à y mettre dans ces cercueils de fortune, enfin de fortune n’est pas vraiment le bon terme. Où est la fortune ? Moi qui me suis engagé justement pour faire fortune et rentrer au pays en homme valeureux, riche d’une belle expérience et couvert de médailles. Aujourd’hui j’espère rentrer tout simplement. L’idée de déserter m’est venue à maintes reprises tellement l’angoisse permanente me tenaille. Je ne le ferai jamais pour Eugénie d’abord, je n’oserai plus me présenter devant son père et sans doute pas devant elle, bien que je croie qu’elle serait capable de s’enfuir avec moi. Pour aller où ? Le bout du monde c’est certain ; rester plus près serait une erreur, son père pourrait engager des hommes pour retrouver sa fille, sa pauvre petite fille qu’un odieux personnage, moi en l’occurrence, aurait abusé. La mort serait certainement bien moins pénible à ce qui pourrait m’arriver si...
Dans mon trou depuis ce matin je n’ai que des idées noires, j’ai envie de pleurer mais mes yeux sont secs, j’ai envie de crier mais aucun son de mon corps n’arrive à sortir, alors en désespoir de cause je me fais de plus en plus petit. Si j’avais été plus studieux durant les cours de catéchisme j’aurais peut-être pu prier mais rien ne vient. La seule prière que je répète deux bientôt deux ans et une incantation à une puissance supérieure susceptible de me faire passer entre les balles et les obus afin de revoir ma douce Eugénie. C’est la raison pour laquelle depuis deux jours je suis cloué au fond de mon trou espérant conjurer le sort.
Parfois je pense à Gustave dont je n’ai plus de nouvelles depuis une éternité. Durant près d'un an nous étions dans la même unité, lui à cheval, moi à pied. Toutefois lors des campements il nous arrivait de nous croiser ou d’avoir des nouvelles grâce à l’un de nos camarades. Lors de la dernière offensive sur la Marne, nos garnisons n’étaient plus communes. Gustave faisait partie du 2ème corps de cavalerie, qui a été rappelé en février 1814 au côté de la 6e division de cavalerie commandée par le général de brigade Antoine Maurin pour combattre sur la Marne. J’ai appris que depuis qu’il avait dû faire de grandes choses parce qu’il avait été nommé général de division. Cependant je n’ai pas eu de nouvelle de Gustave. Et malgré de belles victoires à Vauchamps, Montereau, Craonne, Reims, il y a eu quelques dures défaites à Laon, d'Arcis-sur-Aube ou encore Fère-Champenoise en mars 1814 où de très nombreux morts ont été recensés et d'autres ont été faits prisonniers. J’espère que mon ami est parmi ceux-là plutôt que parmi les morts. Après cette date notre régiment n’a plus eu de nouvelle. Je regrette aujourd’hui de ne pas avoir suivi les conseils de Gustave lorsqu’il s’était proposé alors que je n'avais que douze ans de m’apprendre à monter à cheval. C'était au-dessus de mes forces j'avais trop peur des chevaux à l'époque. Pourtant si j'avais été plus courageux j’aurais fait partie du même régiment que mon ami et j’aurais sans doute pu tenir la promesse que j’avais faite à Eugénie. Veuillez sur son frère, son inconscient de frère, toujours prêt à en découdre avec celui qui le cherchait. Dieu que j’avais peur, cette nouvelle peur me tenaillait si fort que je craignais le pire. Et si le pire était avéré comment pourrais-je m’expliquer, oserais-je seulement apparaître devant ma bien-aimée.
Ce jour tout m’effraie et plus le temps avance plus je suis terrifié. Une fois encore j’aurais aimé prier celui qui, s’il existait, me viendrait en aide, protégerait mon ami, me donnerait la volonté de me lever et ferait en sorte que notre chef, le grand Napoléon nous sauve enfin de cette boue, de ce noir, de cette peur et nous permette de gagner cette guerre dont nous ne voyions pas la fin. Après son retour de l'île d'Elbe, tous les soldats étaient heureux de le voir reprendre en mains ses troupes, même si en mai 1814 à l’arrivée du nouveau souverain, Louis XVIII, la population était plutôt contente car lassée toutes les guerres de napoléoniennes. L’enthousiasme n’a pas duré longtemps surtout pour nous le petit peuple. La restauration, d’après les lettres que je recevais de mon père, ne satisfaisait pas tout le monde. Les plus riches comme le clergé, les nobles, les hauts fonctionnaires, les plus prestigieuses professions libérales et riches commerçants semblaient s’en satisfaire mais le reste du peuple n’aimait guère Louis XVIII, même le comte ne le portait pas dans son cœur paraît-il et pourtant il aurait pu.
Tous les soldats de l’Empire n’avaient cessé de regretter notre chef. Beaucoup d’entre eux avaient dû quitter l’armée. A la suite d’ordonnance l’armée avait été réorganisée et réduite de moitié. Avec Gustave nous avions eu peur de devoir rentrer au pays, par chance nos régiments avaient été conservés ou regroupés avec d'autres. Beaucoup de nos officiers avaient été mis de côté avec une demi-solde. Nous nous étions demandé, Gustave et moi, s’ils avaient eu la chance de rentrer chez eux ou s’ils avaient regagné leur garnison dans l’attente de quelques événements à venir. Pour toutes ces raisons nous étions tous heureux du retour de notre chef suprême. Toutefois cela fait plus de quatre-vingts jours que nous avançons d’un pas et reculons de deux. Le temps est long, dur et éprouvant. Ma douce Eugénie heureusement que j’ai toutes tes lettres que je relis sans cesse pour soutenir mon moral qui est au plus bas.
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